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Voeux envoyés à certaines

avocates de Besançon

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Besançon le 20/01/21

 

Objet : Vive le e !

Bonjour,

 

A l’aube de la nouvelle année, je vous contacte, ainsi que toutes vos collègues avocates, pour vous sensibiliser à l’importance d’un changement sur vos plaques professionnelles, témoignant de votre activité d’avocate, mais signifiée Avocat .

Docteure en histoire des mentalités, spécialiste de l’histoire des violences faites aux femmes (Doctorat sur les procès en matière de crime de sorcellerie ou Chasse aux sorcières), je m’intéresse aux relations de pouvoir entre les sexes et à l’histoire de la domination masculine. La disparition et le refus des termes féminins désignant des professions ou des activités s’intègrent dans mes recherches.

Adhérente à la Siefar (Société internationale pour l’étude des femmes sous l’Ancien Régime, créée par ma collègue Eliane Viennot1), je milite pour la féminisation des termes qualifiant professions et activités, d’autant que nombreuses professions et activités avaient autrefois leur féminin, avant que ce féminin ne disparaisse. Grâce à nos recherches (site Siefar onglet La Guerre des mots) nous savons que le français a été masculinisé suite à la création des universités (temples de la raison aux mains des hommes du 13e au 19e siècle) et à l’imprimerie.

Le Moyen Age connut des archères des jongleresses, des clergesses (érudites), des prévôtes, des tuteresses, des peinteresses, des médecines, des écrivaines, des défenseuses ou défenderesses, etc.

En 1564, Jeanne d’Arc devint «la  victrice des ennemis des Gaulois » (féminin de victorieux).

L’effacement de ces termes est une réponse des misogynes aux progrès de l’égalité, et nous le payons encore aujourd’hui, malgré de sérieuses avancées.

De même, à la question « Etes vous heureuse ? » l’épistolière Madame de Sévigné (1626/1696) répondait « Je la suis » et non je le suis, en raison de son sexe.

Ajoutons qu’en 1670, dans son Traité de l’éducation d’un prince, le théologien Pierre Nicole osait encore écrire « ces pères et mères qui font profession d’être chrétiennes (et non chrétiens en raison de l’accord de proximité ou de continuité).

Et l’usage était de dire « les 2 hommes et les 5 femmes assises sur le banc » ( et non assis, en raison du nombre supérieur de femmes.

Il fut un temps où, en effet, le masculin ne l’emportait donc pas sur le féminin !

D’où vient la règle de grammaire signifiant le contraire ? Au 17e siècle, des grammairiens affirmèrent que « parce que le genre masculin est le plus noble, il prévaut seul contre deux ou plusieurs féminins ». Ainsi, il suffit d’un homme ou d’un élément masculin pour qu’adjectifs/participes passés s’accordent au masculin ! Est-ce bien juste ?

 

Au 18e, l’académicien Nicolas Beauzé revint férocement à la charge avec l’argument suivant : « Le genre masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ».

Ce résumé permet de mieux cerner l’injustice faite aux femmes et justifie ma démarche. Inscrire « Avocat » sur votre plaque, c’est donner raison aux grammairiens misogynes effrayés par les capacités intellectuelles et la concurrence des femmes. Graver Avocate sur votre plaque n’a rien d’extraordinaire, puisque vous êtes avocate, mais ce e supplémentaire reste un symbole fort. Dans les cabinets d’avocats et d’avocates, il est possible d’écrire avocat.e.s.

Ce terme au féminin prouve aux fillettes et garçonnets que oui, il y a des avocates, tout comme il existe des docteures, des rectrices, des professeures, des chirurgiennes, des plasticiennes, des députées, des sénatrices etc. Puisque ces professions existent au féminin, pourquoi le cacher par un terme masculin. Est-ce plus valorisant ou plus sérieux (pour une femme) de se dire avocat, docteur, recteur, professeur, chirurgien, plasticien, député ou sénateur ?

La pharmacienne n’est en rien la femme du pharmacien, la notairesse n’est pas celle du notaire et l’étudiante encore moins celle de l’étudiant, comme des dictionnaires l’affirmaient autrefois.

Ce temps n’est plus. La condamnation des noms féminins est révolue, grâce aux combats de nos aînées, (et de quelques aînés !) qui furent à l’origine des changements et de l’évolution des mentalités. Nos aînées ont bataillé pour s’inscrire à l’université, étudier et obtenir un diplôme équivalent à celui d’un homme. Diplômées, elles ont également lutté pour exercer et plaider comme les hommes 2.

En espérant que mon courrier sera convaincant et que désormais, dans l’enseignement universitaire (droit, médecine, pharmacie etc) ces faits historiques seront sérieusement rappelés aux étudiant.e.s. pour les convaincre d’user des bons termes.

Ajouter ce e, c’est également faire entrer Besançon, dans une ère égalitaire, avant bien d’autres villes, et montrer le chemin.

Bien sur, si vous avez déjà opté pour cette féminisation, cette lettre ne vous concerne pas, et je vous félicite !

Cette lettre qui n’engage que moi, sera publiée sur mon site, onglet « mes projets, mes idées, mes combats en 2021 ».

 

Bien cordialement.

​Brigitte Rochelandet

Visiter mon nouveau site ! https://www.brigitterochelandet.fr

1) Professeure émérite de littérature française de la Renaissance et membre de l’Institut universitaire de France, autrice de Non le masculin ne l’emporte pas sur le féminin. Éditions iXe, Donnemarie-Dontilly, 2014/2018.

2) Rochelandet Brigitte, Besançon au féminin, Cêtre, 2020, voir chap. 3, p.96.

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